samedi 16 décembre 2017

MANAGER EN AFRICQUE: ENTRE ANCRAGE DES CULTURES LOCALES ET BUSINESS



 
    Le monde se globalise à une vitesse impressionnante, dans lequel les organisations ne cessent de se "transborder". Tout ce dynamisme peut s'expliquer par la multiplication des outils de communication et d'innovation, qui sont davantage en perpétuelle mutation. On pourrait penser à des manières d'agir légitimes de gérer des entreprises. Mais peut-on dire qu'il existe réellement une méthode capable de s'appliquer à tous les contextes d'entreprise qui ne tient pas compte des caractéristiques locales?  

On peut entrevoir par exemple, des différences notables entre les modèles de type européen et de type anglo-saxon, ne serait-ce qu'en s'intéressant à la protection des collaborateurs; les anglo-saxons insistant plus sur les initiatives individuelles avec des couvertures sociales minimes. 
On peut aussi noter des disparités de fonctionnement entre les régions d'Afrique et les différentes communautés linguistiques.

Les organisations qui nient le contexte local, s'exposent à une incompatibilité avec le modèle traditionnel africain  et se butent généralement à des obstacles farouches. Cette stratégie peut même impacter négativement leur fonctionnement et leur vision.

Dans ce billet, nous rappelons la vie en communauté en Afrique, ses avantages, tout en mentionnant les limites qu'elle peut avoir sur la gouvernance  d'une entreprise. Nous mobilisons quelques textes relevant de la littérature sur le management en Afrique. Enfin, nous vous proposons un cas réel qui nous a été proposé par un cadre d'entreprise vivant en Afrique.

La vie en communauté en Afrique

L'Afrique compte d'innombrables groupes ethniques et une impressionnante diversité culturelle, de l'Afrique Septentrionale à l'Afrique Australe, et de l'Est à l'Ouest. Des différences de cultures sont visibles d'une région à une a autre, d'un pays à un autre et d'une communauté linguistique à une autre. Or, en dépit de l'existence de groupes ethniques divers, d'une présence foisonnante de dialectes et de tribus sur le continent, les termes communs à ces groupes restent la solidarité, la communauté, la vie en groupe.

"Tout le monde soutient tout le monde et tout le monde défend tout le monde". la priorité accordée au collectif a sans doute l'avantage d'assister les plus démunis, les plus vulnérables dans un cadre caractérisé par des récessions économiques et financières déplorables.

L'autre aspect qui se dissimule derrière l'esprit de communauté, est que, chaque individu se doit d'être disponible pour les autres, dans la mesure où il profite lui-même de la solidarité des autres membres de la dite communauté. Ainsi, l'individu se ressent redevable vis à vis de sa communauté. On peut ainsi comprendre que la vie en famille ou en communauté génère des obligations

Mentionnons que l'importance accordée à la notion de solidarité qui régit les sociétés africaines, peut empiéter la productivité d'une organisation. Ces faits s'expliquent par des absences pour raisons de famille. On peut s'absenter du travail pour assister au baptême d'un cousin, d'un neveu, d'un proche ou d'un membre d'une famille élargie, ou aux funérailles d'un proche. Manquer à ce genre d'événements peut coûter jusqu'au bannissement de la communauté, ou de l’isolement. Cet esprit de  solidarité reste tellement ancré, que même une menace de licenciement ne dissuadera pas les salariés souhaitant se rendre à ces événements sociaux. Les relations sociales extraprofessionnelles paraissent tellement prépondérantes, à tel point que certains collaborateurs ignorent même la hiérarchie au détriment de ces liens sociaux. Ils court-circuitent les normes, les procédures aux dépens des liens amicaux, familiaux entretenus par les salariés entre eux. Il sera difficile par exemple pour un manager ou un superviseur africain de sanctionner un de ses proches, ou lui faire simplement des rappels à l’ordre. 

Cependant, si plusieurs observateurs pensent que les cultures africaines ne corroborent pas avec le management de l'entreprise moderne, Marcel Zady dans son livre "Culture africaine et gestion de l'entreprise moderne" paru en 1998, s'oppose à cette idée et postule par ailleurs que, lorsque les cultures africaines sont bien exploitées et assimilées à sa juste valeur, elles peuvent être de vrais atouts pour les organisations. Dans la même logique d'idée, il poursuit en disant que, les managers peuvent s'adosser à cet esprit de communauté pour créer ce qu'il a appelé "esprit de groupe" au travers la mise en place d'actions à caractère social et la création d'une relation de confiance.

Comme nous vous le disions, nous allons à présent vous proposer un cas réel. Ce cas nous a été expliqué au téléphone par un cadre d'entreprise. Nous avons pris le soin de le transcrire dans les moindres détails. Cette personne nous a toutefois, suggéré de ne pas décliner l'identité de la société pour préserver l'anonymat. Au travers ce cas, nous vous donnons quelques clés pour  vous permettre de tourner à votre avantage l'ancrage culturel et de pouvoir impliquer tous les collaborateurs dans la dynamique de la stratégie d'affaires. 

Plusieurs outils, méthodes et techniques de résolution de ce cas peuvent exister. Nous avons préféré utiliser la vision de Zady à d'autres. En effet, il a été manager de grands groupes en Afrique et a engrangé plusieurs années d'expérience dans le domaine et dans le management africain.

Etude de cas:

Nous sommes dans une entreprise évoluant dans le secteur des NTIC et dont l'équipe de management est essentiellement constituée d'expatriés. A l'exception de la direction administrative et financière qui, elle, est chapeautée par un collaborateur local, cette direction s'occupe également des aspects RH.

Le service clientèle compte plusieurs sections, et est l'un des maillons forts de cette entreprise, il conseille, oriente et traite les plaintes des clients. Ce service dépend directement du directeur commercial. La section "gestion des plaintes" a été totalement féminisée, ceci serait un choix de la direction pour calmer, contenir et dissuader des clients furieux qui se présentent à la section. Une des collaboratrices de cette section est fortement impliquée dans les "affaires sociales" de la société. A chaque naissance sous le toit d'un salarié où décès d'un des collègues ou des proches, elle  se portait garante de la réclamation d'une somme démocratique pour venir en aide aux personnes concernées ou aux victimes. A chaque décès, naissance ou maladie grave d'un collaborateur ou du proche d'un collaborateur, elle prenait toujours l'initiative de constituer une délégation pour se rendre dans la famille soit pour présenter les condoléances dans le cas d'un décès, soit pour participer à des cérémonies de baptême ou de mariage. Au nom de l'ensemble des salariés, elle présentait à la famille la somme récoltée. La direction avait conscience de ce genre de pratiques, mais ne s'est jamais ouvertement opposée à une délégation à caractère social ou familial.

Entre septembre et décembre de cette année, l'une des périodes de l'année les plus rentables, cette collaboratrice a enregistré un heureux événement: celui de la naissance de sa première fille. Le baptême devait se faire un mardi, un jour ouvrable de la semaine(selon les coutumes de ce pays, le baptême se fait au 7eme jour de la naissance). Cette fois, une tierce personne se chargea de réclamer les habituelles cotisations à chaque salarié. Le mardi, jour du baptême, la section "gestion des plaintes" était complètement vide, aucune des dames ne s'était présentée  à leurs postes le matin et ce, jusque dans l'après-midi. Aucun client ne fut servi, aucune plainte ne fut résolue. Ce constat était quasiment similaire dans les autres départements et dans d'autres implantations de la banlieue de la ville. On pourrait penser à une sorte de récompense envers cette collaboratrice pour sa forte implication dans des problèmes et événements sociaux de ses collègues.

La directeur commercial voyant un attroupement impressionnant de clients devant la boutique, découvre qu'aucune des salariées n'était présente à leurs postes et qu'elles s'étaient rendues au baptême. Très furieux, envoie un mail à tous les collaborateurs absents de son département,  demande à ce que, toute sortie pour raisons de décès, de naissances soit immédiatement arrêtée et ce, quel que soit le lien de parenté. Le message a été très mal perçu par l'ensemble des salariés et entraîna une baisse du CA de la société. A cela s'ajoutent, la multiplication des plaintes, des problèmes techniques des clients qui n'étaient que partiellement résolus. 

Ces sanctions et interdictions n'ont pas été aussi dissuasives qu'il s'attendait, car trois semaines plus tard, cinq membres de son équipe se sont absentés pour raisons de décès de leurs proches. Ne supportant plus ces situations, présente sa démission.

Il faut aussi rappeler que, le RH et le directeur commercial  n'étaient pas sur la même longueur d'onde dans la façon de résoudre ce problème d'absentéisme. Le RH n'optait pas pour une interdiction totale, il proposait plutôt de constituer une délégation de deux ou trois personnes choisies dans des départements différents et à des heures de moindre affluence de clients dans les boutiques ou les weekends pour se rendre dans les familles. Il a par ailleurs, proposé de rencontrer les représentants du personnel et même les salariés pour essayer de mieux formaliser ses propos.


Mais qu'est ce qui aurait pu être fait avant d'en arriver là? Telle est la question que nous nous posons et nous tenterons par notre manière, de répondre à cette question. 

Dans cette section, nous nous basons des leçons de Marcel Zady(1998), afin de proposer substantiellement des techniques prodigieuses qui auraient pu être implantées dans cette organisation. 


Marcel Zady (1998) dans son livre "culture africaine et management de l'entreprise moderne", s'oppose fermement à l'idée selon laquelle, les cultures et traditions africaines seraient un frein à la gestion d'une entreprise moderne. Il postule par ailleurs que, l'échec de plusieurs managers optant pour une carrière en Afrique est dû au fait de vouloir tout transporter du modèle occidental et de ne pas tenir compte des spécificités locales. Il n'écarte nullement pas les difficultés liées aux réalités africaines, il préconise aux organisations de "s'acclimater" et d'adopter une dynamique spécifique capable de maintenir une certaine motivation des salariés.

L'auteur propose différentes mesures qui peuvent se résumer en 3, qui, selon lui, sont un moyen efficace de gérer des entreprises en Afrique:

1- Les dispositifs de formation interne pour attirer et obtenir une adhésion totale aux règles formelles 

Selon l'auteur, il ne s'agit pas ici d'un dispositif de formation permettant de développer des compétences ou de combler une carence en compétence. Cette formation comme le dit Zadi répond à "un besoin d'encadrement et de recyclage sur le terrain"
Ces dispositifs sont des outils d'aide et permettent aux collaborateurs de s'aligner aux procédures internes formalisées. Ils sensibilisent aux choix managériaux et aux comportements à adopter dans des situations professionnelles. L'idée est de faire assimiler et de "diffuser une charte de valeurs qui renferme la politique managériale"(Zadi, 2013).  L'idéal étant de diriger tous les collaborateurs dans la dynamique managériale prônée par la direction. Dans notre étude de cas proposée, cette formation interne aurait pu certainement dissuader les salariés à laisser le bureau vide pendant les heures d’affluence. Ce programme permettrait aux salariés de prendre les bonnes décisions, en s'abstenant par exemple de laisser les bureaux vides aux heures de travail.

2- Divulguer une culture du respect des procédures dans l'entreprise

Les procédures, selon l'auteur doivent permettre aux managers d'impliquer les salariés dans la même dynamique et de prévoir des comportements inadéquats. Il propose en ce sens:
"Une bonne discipline se traduirait dans une entreprise moderne "africanisée"" par des procédures et des méthodes clairement définies, expliquées, comprises, acceptées par tous, et facilement appliquées, sans remise en cause permanente » 

3- L'auteur dans son livre propose de recourir au système de contrôle interne

Le livre est plus basé sur ses expériences que sur des recherches sociologiques.

L'auteur suggère que "celui qui initie une action ne doit pas la conclure, surtout lorsque celle-ci a une incidence financière". Il propose la mise en place des niveaux de contrôle différents . Il préconise également une gestion en chaîne constituée de plusieurs personnes, pour cultiver la transparence au sein des équipes.  Cette technique reste dissuasive et a l'avantage de mener des contrôles dans les équipes.

Même s'il a préféré  basé son livre sur ses expériences et ses vecus de travail, à l'utilisation d'une méthodologie scientifique rigoureuse fondée et basée sur des critères précis, il a toutefois apporté certaines réponses aux questions managériales qui se posent en Afrique.

D'un contient à un autre, chaque ensemble présente des spécificités culturelles propres à lui. Chaque continent est marqué par des contextes légaux et réglementaires qui lui caractérisent et auxquels, il faut s'aligner dans un souci de respect et de conformité. 

Les managers les plus efficaces sont ceux qui s'adaptent, comprennent et analysent pour résoudre un problème.

Comment auriez-vous appréhendé ce problème? Quelles solutions préconiseriez-vous? 
Vos avis nous importent.

Bonne lecture à tous!


                                                                                      Mandjou KOUYATE